
Poursuivant notre réflexion sur l’identité locale, l’idée qu’il puisse exister une banlieue d’Uzès, ne m’est jamais venue à l’esprit.
Il a fallu, un échange avec des amis résidents aux États Unis, pour que je puisse me rendre compte, que comme nous pouvons l’observer sur cette image, il existait bien un boulevard périphérique, comme une frontière entre le « centre » et le « reste ».
En effet, la ville d’Uzès, a été largement transformée pendant la dernière décennie, et finalement ce qui était des abattoirs sont devenus de nouveaux quartiers résidentiels ( voir éditions). Mes grands parents avaient une maison dans cette partie de la ville et je n’ai jamais eu l’impression qu’il existait une séparation.
Lorsque la voiture, par un vif clignotant , empoignait la rue c’était avant tout le signe d’accueil. D’ailleurs notre voisin d’en face avait la fâcheuse tendance de garer sa voiture devant notre portail, ce qui m’interrogeait a chaque fois, puisque nous avions un panneau “Interdiction de stationner”.
D’autant plus que le commerce familial se trouvait sur le fameux boulevard périphérique. Si il y avait une distinction et même de la concurrence entre les différents villages environnants, chacun ayant leurs spécifiés et leur identité propre, à Uzes nous étions avant tout uzétiens. Ce sentiment d’appartenance ne se traduisait pas seulement par l’héritage du patronyme que d’un art de vivre, celui de la duchesse d’Uzes, mais surtout une ” volonté d’en être” qui s’incarnait par la contribution de tous dans le respect de l’histoire et de la culture de chacun . En ce sens la notion de communauté était tributaire de celle d’identité : “Si tu es d’Uzes, c’est que tu es quelqu’un!” dans le cas contraire il possible d’être ” touriste” ou pire un parisien (ce qui se traduit littéralement par la réponse d’Ulysse au Cyclope, à savoir “personne”).
En ce sens, si des différences existaient, elles étaient toutes perçues comme une spécificité propre, un art et un trait de caractère personnel façonnant son identité et non le signe d’une stigmatisation puérile. En ce sans, l’hôpital psychiatrique, en était le parfait exemple, puisque ses habitants faisaient autant partie de la vie de la ville que “nous autres”, ils avaient leur prenait, leur personnalité, leur identité et nous leur devions reconnaissance et respect ne serait ce que par la grâce de leur existence. Car nous avions tous conscience qu’ils nous apportaient quelques chose de “different”, manifestant parfois des choses que nous aurions préférer ne pas voir (1). Enfin, c’est l’avis de l’enfant que j’étais, car à l’époque nommer les choses par leur nom, ne posait pas de problème éthique et ou juridique et ce simple fait, peut probablement nous en dire beaucoup sur l’acceptation d’autrui. Poser des questions pouvait “déranger” mais n’était pas assimilé à de la suspicion ou autre, désirer connaitre Autrui (2), cela semblait “normal”.
Néanmoins, cela nous permet de relativiser cette « inclusion » avant d’être intégrée à la communauté, on questionne, on échange pour éventuellement pouvoir identifier qui correspondrait à la personne, ce qu’elle porte au monde , son art en somme.. L’action nominative venait ensuite et cela s’opérera de façon parfois inconsciente mais toujours collective. Cet acte , à savoir « définir » l’Autre, etait un mouvement constant, qui allait au grec des “cancans”, on n’avait jamais cessé de définir Autrui, puisqu’il était la, vivant parmi nous et reconnaissable. Il pouvait être nommé (et souvent contre son gré..) mais il ne pouvait tenir dans une catégorie car cela anéantirait l’activité preferée de beaucoup . Ainsi lorsque qu’une définition prenait place elle était avant tout communautaire et, de ce que j’en percevait du haut de mes trois ans, c’était le bar qui permettait cette effluve créant une agora aux parfums de rosé , d’anis, de blondes et de cacahuète.
Implicitement, dans ces lieux, il y avait une forme de challenge dans la reconnaissance d’autrui, un franc parler dévastateur qui aurait fait bondir, n’importe quel général décoré !
Force de constater, que lorsque l’on passe son temps dans les bistrots, que les femmes appellent pour savoir ce que font ces messieurs pendant qu’ils racontent leurs problèmes ou bien encore lquand les joueurs passent des heures à repérer les « bons » chevaux, et ce pendant des années tout en maintenant la croyance ferme qu’un jour ils gagneront, cela crée du lien et un sentiment d’appartenance mais surtout d’identité. Chacun donnait de lui-même, partageait son histoire et si j’avais pu faire la biographie de chacun d’eux je suis sure que cela nous apprendrait la géopolitique mieux que n’importe quel manuel !
En cherchant aussi loin dans mes souvenirs, le concept de cette fameuse « identité » soulevée par le collègue américain ( dans le précèdent post), a bien existée dans mon enfance (mais depuis le bar a été vendu). Cette fraternité allait de pair avec une reconnaissance individuelle qui engendrait une altérité, ce qui allait très au-delà des limites géographique!
Si l’acceptation d’Autrui était comparable au franc parler : ” Tu es ou tu n’es pas d’Uzès!”.Inutile de mentir sur votre lieu de résidence, si vous habitez un village environnant, ou encore si vous venait d’un autre bourg (ou pire encore d’une autre région) on le saura tôt ou tard, alors autant être honnête dès le départ car vous risquerez de vous retrouver dans une “battle” ! De même pour vos capacités et vos projets, on vous aidera si vous nous faites part de vos problèmes mais attention au retour de battons si vous vous prétendez être plus fort que vous ne l’êtes en réalité !
On ne joue pas aux algorithmes, et le community management est inutile car « on » (c’est à dire la relation) fait votre réputation !

(1) Carl Gustav Jung, L’Homme à la découverte de son âme, Albin Michel, 1987
(2) Emmanuel Levinas, Oeuvres complètes, Grasset